EXTRAIT du roman de Malène DAQUIN "Le Monde Interdit"

 

Sur la mer écumante au milieu des rochers se dressent les grandes falaises, comme autant de déchirements que les eaux ont forgés monceaux de pierres déchiquetées, rongées par le sel et le temps et qui semblent sombrer dans un abîme. La côte accidentée se profile au loin. À travers la brume épaisse, ces masses rocheuses gigantesques, déformées, se dessinent en ombres sur les eaux,  rassurantes, signe que la terre est proche. Faisant face à la terre, l’immensité où se perd le regard des marins, attiré vers le large à l’aspect inquiétant, vers ces formes mouvantes qui s’enflent et se déchirent, gueules béantes où s’engouffrent les bateaux, recrachés sans cesse et disparaissant à nouveau dans les flots.  Et si les eaux en furie se déchaînent, le ciel lui-même, ressemble à un vaste océan exultant ses salves de liquide infâme sur le dos des vagues. Dans ce brouillard domine une couleur d’acier. Les derniers bateaux tentent laborieusement de regagner le port au travers de cette musique assourdissante où le tonnerre frappe la mesure de sa voix tonitruante. Le vent siffle et souffle sur la mer, soulève des vagues de poussière et de sable sur la plage.

Le chalutier de Léo regagne le port. Les hommes en descendent, se hâtent de rentrer après avoir débarqué les caisses de poissons.

Léo reste un moment sur le quai, seul dans le mauvais temps, puis s’apprête à longer la plage. Au lieu de se presser comme le ferait n’importe qui, il semble heureux de la tempête et reste là immobile devant la mer, son corps offert à l’infini. Son visage encore jeune porte les marques de l’enfance, un air d’innocence. Le jeune homme se met peu à peu à danser sous la pluie en se laissant lascivement tremper jusqu’aux os. Son visage inondé resplendit d’une beauté sauvage et surnaturelle. Son corps sculptural et fort se découpe dans les reflets du soleil qui se faufilent au travers des nuages. Les vêtements mouillés collent à sa peau,  laissant apparaître un corps puissant,  modelé comme une statue grecque aux muscles saillants et beaux. Aussi grand qu’un colosse, éclatant de force et de vigueur, il bondit sur le sable, ses cheveux noirs, bouclés, collés à son visage, le regard heureux, épanoui, d’une fraîcheur d’ange. Il court sur la plage, prend plaisir à forcer le vent qui le retient dans son élan. Ses grands yeux noirs jettent des éclairs autour de lui comme un feu lumineux qui se répand.

Puis soudain, il s’arrête fasciné par la vue d’un spectacle inattendu et sourit. À quelques pas de lui, un enfant joue sous cette pluie battante, s’avance au-devant des vagues de l’eau et de la brume, bondit en arrière, s’enfuit pour les éviter, frêle petit bonhomme devant la mer en furie. Les vagues à qui l’enfant ordonne de le saluer, vont même jusqu'à lui caresser les pieds, les enlacer, semblables à de longs cheveux fous venant se perdre sous le sable dans une course folle. La brume et l’orage diffusent sur l’onde des ombres fantasques imprévisibles. Une féerie baigne la mer où les vagues comme des monstres vivants aux formes fantastiques, se gonflent, se déploient et viennent se jeter sur la côte, mourir aux pieds de l’enfant émerveillé qui regarde l’eau écumante, bouillonner et s’évanouir à ses pieds. Des myriades de points brillants disparaissent, renaissent à l’horizon. Au loin, il s'invente des sirènes sur leurs rochers de nacre et pour écouter leurs histoires, fait de longs voyages dans son imagination. L’enfant court, bondit, s’amuse de l’eau qui l’éclabousse de tous côtés. Léo l’appelle, mais le bruit de l’orage et de la mer étouffe sa voix. Il se presse vers l’enfant, l’emporte dans ses bras de titan.

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